mercredi 5 octobre 2011

Où l'on rencontre Paul, sourd profond et élève de 5ème


Semaine 5, jour 3 au collège NH entre ciel et mer

C’est l’histoire de Paul. Je l’appelle Paul, mais j’aurais pu tout aussi bien le rebaptiser Pierre ou Jacques. C’est donc l’histoire de Paul. Paul est sourd profond depuis sa naissance et est actuellement scolarisé en classe de cinquième dans un cadre “traditionnel”, comprenez Etablissement public, avec des élèves “traditionnels”, comprenez Qui entendent parfaitement. Si Paul est dans une classe “normale”, c’est qu’on lui a promis qu’il serait épaulé dès la rentrée par une Assistante de Vie Scolaire (AVSi) qui l’accompagnerait dans chaque classe, à chaque cour, pour traduire les propos des professeurs et de ses camarades.

A la rentrée, Paul et ses parents ont appris que l’AVSi promise avait renoncé à prendre son poste. Avec l’accord de sa maman, et parce qu’il était sans doute impossible de faire autrement, Paul a donc effectué sa rentrée dans les mêmes conditions qu’un élève ne souffrant pas de problèmes auditifs. Précisons que Paul parvient, via un implant, à entendre et à décoder quelques sons, qu’il n’a pas un excellent niveau en lecture labiale et que chaque heure de cour lui impose de fournir des efforts d’attention considérables, auxquels s’ajoutent des heures de prise en charge par des spécialistes (orthophoniste, professeur en langage des signes, psychologue) et du soutien scolaire pour combler ses lacunes. Et des lacunes, il y en a. Car la première langue de Paul, qu’il maîtrise encore mal, c’est la langue des signes. Alors imaginez lui apprendre le français... Non, en fait, on imagine mal et il faut écouter les spécialistes raconter le processus cognitif qui permet à Paul de se saisir du français pour comprendre que pour lui, lire un livre, un énoncé ou la consigne d’un exercice, revient, pour nous, à lire ce même livre dans sa traduction chinoise.

Il y a bien dans sa classe deux élèves qui communiquent avec lui par le biais de la dactylologie qui, rappelons-le, permet de représenter chaque lettre de l’alphabet par une position des doigts de la main. Pour Paul, c’est une porte d’entrée vers la communication, mais pour vous représenter la contrainte, c’est un peu comme si nous nous parlions en décomposant chaque mot, lettre après lettre.

Tous ces efforts laissent Paul dans un état de fatigue évident, lequel appuie violemment sur une souffrance psychologique qu’il a de plus en plus de mal à taire. Ses professeurs, son entourage familial, comme son psychologue peuvent en témoigner quotidiennement.

Lors de la réunion qui s’est tenue hier soir pour faire le bilan de ce premier mois de classe, chacun comprenait que l’échec était au bout du chemin, et que le chemin finissait bientôt. La solution résidait alors dans le placement de Paul dans un institut spécialisé, en internat, car loin, très loin de chez sa maman, laquelle est abattue par l’idée de ne plus voir son gamin que les week-ends.

Mon premier réflexe a été de maudire l’AVSi qui a planté Paul en début d’année. Puis, j’ai remarqué que les spécialistes assis à la table de la réunion parlaient d’elle avec beaucoup de mansuétude, de compréhension. Ensuite quelques mots-clés me sont parvenus, et j’ai compris. Contrat précaire... salaire de misère... Je me suis renseigné ; je n’ai qu’une source et je n’ai pas envie d’aller plus loin. De peur du dégoût.  Une AVSi en langage des signes qui suit un élève pendant près de 30 heures par semaine est considérée comme travailleuse à temps partiel. Son contrat est extrêmement précaire et son salaire ne dépasse pas les 900€ par mois (j’espère que c’est du net). Si on lui propose mieux ailleurs, et ce n’est pas dur, et même si elle plante un gosse, elle y va. Comment lui en vouloir ? Par les temps qui courent, on survit.

Et Paul ? Alors que la réunion touchait à sa fin et qu’une synthèse des débats allait être communiquée à la maman, on a frappé à la porte. C’était la responsable de l’accueil qui venait remettre un papier urgent au coordinateur du “Dossier Paul”. Une AVSi venait d’être trouvée et avait donné son accord pour accompagner Paul.

Pour combien de temps ?

jeudi 29 septembre 2011

Où je mesure pleinement ma tâche

Semaine 4, jour 4 au collège NH entre terre et mer

Lecture du journal pour veille infos locales / Bulletinage de quatre nouveaux périodiques / dépannage informatique d’élèves / admonestation d’élèves surfant sur sites prohibés / Discussion téléphonique avec ma tutrice / rangement des périodiques laissés en piles par mon prédécesseur dans les boîtes d’archives / discussion décevante au sujet d’une collaboration dans le cadre de l’accompagnement éducatif avec collègue d’histoire-géo / Discussion de préparation à la visite du CDI par les Sixième SEGPA / projet de collaboration en Arts plastiques, séquence à inventer autour de l’image / Tentative d’accompagnement momentané sur sujet flou : “Créer une banque de mot autour du XIXè siècle” (super tordu) / Créer un tableau vierge à afficher sur la porte pour avertir des réservations du CDI / Discussion avec des élèves de troisième autour de la notion bicéphale de comportement : exemple et crédibilité à donner aux plus jeunes quand eux se permettent de jouer au CDI / Mettre à jour les emprunts sur la base BCDI et s’apercevoir que le bordel est encore pire que ce que je craignais / Expliquer, encore et toujours, aux élèves que non une fois leurs recherches terminées, ils ne jouent pas sur Internet...


Pas de doute, je suis bien devenu professeur documentaliste en collège.

mercredi 28 septembre 2011

Où la pédagogie me manque, mais où elle pointe son nez


Semaine 4, jour 3 au collège NH dans un coin de la galaxie

Deux constatations.
D’abord la pédagogie de manque.
J’ai fait beaucoup de choses aujourd’hui (les autres jours aussi, mais c’est juste pour introduire les faits), depuis la préparation d’une séquence en Français sur les “récits d’enfance et d’adolescence” à destination des élèves de troisièmes, jusqu’à la finalisation de ma liste des livres à acheter, en passant par de micro interventions auprès des élèves (monsieur mon sac est coincé, monsieur c’est quoi mon mot de passe, ta date de naissance, c’est quoi ma date de naissance, monsieur je peux imprimer). Je n’ai pas vu le temps passer. Mais ce que je retiens, c’est cette intervention auprès d’une élève de sixième en carafe quant à une recherche sur Iannis Xenakis ; date de naissance, de mort, deux oeuvres majeures. Lui apprendre un parcours balisé, depuis l’ouverture d’un moteur de recherche (non, je te jure il n’y a pas que Google) jusqu’à la citation des sources en bas de page, via un utile recoupement des informations entre Wikipédia et le site officiel du compositeur, a été un vrai beau moment. Qu’a-t-elle retenu ? Impossible de répondre sans évaluation. Et pourquoi elle ? D’autres avaient besoin de moi, je le constate chaque jour. Intervenir auprès d’un élève, puis auprès d’un autre ? Pourquoi ne pas envisager un cours commun. C’est une idée de séquence pédagogique ; certes, il faut l’améliorer, mais l’idée reste la même. Mais à quelle place dans l’emploi du temps ? Accompagnement personnalisé ? Et Dieu, dans tout ça ?

Ensuite, l’évident manque de formation.
Elève malvoyante, C. est du genre à se coller le nez à l’écran pour lire un texte. Elle est venue me chercher parce qu’elle ne trouvait pas Open Office, que je lui ai démarré en configurant le texte avec une police de caractère XXL. Elève en SEGPA, elle est très suivie : en classe par des professeurs disciplinaires spécialisés, hors classe par une Assistante Vie Scolaire pour du soutien. Ce qui me choque un peu, c’est qu’au CDI, on la laisse tomber. Plus de prof spécialisé, plus d’AVS. Je n’ai aucune formation pour m’occuper correctement de cette môme. Certes, n’étant trop manchot avec un PC, je sais comment lui faciliter le travail, mais j’ai pu constater combien il était difficile de gérer un cas comme le sien (allez lui dire de prendre un dico, de saisir une adresse Web, etc.) tout en m’occupant des autres élèves et du CDI dans son ensemble. Alors de deux choses l’une : ou l’on considère le CDI comme un “sous-lieu” éducatif (possible), ou l’on me fait toute confiance dans la prise en charge de ces mômes (possible aussi, d’autant que ça arrange bien). Ma récompense : elle a terminé juste à temps, impression comprise, d’écrire ces quelques malheureuses lignes. Et elle était très contente.
Mais moi, non. Enfin, pas complètement.

J’ai relancé Mme la Principale dans le but d’intervenir auprès des élèves dans le cadre de l’accompagnement, non plus personnalisé mais éducatif. Différence majeure, ce dernier est sur la base du volontariat des élèves. Un créneau semble se libérer avec une collègue d’histoire-géo qui veut mettre l’accent sur la méthodologie. Et ça me va très bien. Si on arrive à mettre en commun nos compétences et faire en sorte que les gamins apprennent à apprendre, apprennent à rechercher et apprennent à restituer, on n’aura pas fait ça pour rien.